Les articles que je classe dans la série “Un peu de moi” n’ont aucune connotation politique. Ils appartiennent tout simplement à aucune autre catégorie de ce blog ou d’un autre que j’ai pu animer ou anime encore et à aucun projet. Ou tout au moins celui-ci n’est-il pas encore né. C’est juste un besoin de témoigner. D’écrire.
Au hasard de mes lectures, j’ai
lu, d’un oeil distrait, l’interview d’un neurologue sur son métier. Au cours de
l’entretien, le médecin définissait l’intelligence comme étant l’art de
combiner les informations, pas toujours en lien direct entre elles. Une
satisfaction pour moi : ce n’est pas parce que l’on connait beaucoup de
choses que l’on est plus intelligent. Ça me rassure pour l’avenir de la race
humaine face aux machines et aux ordinateurs et ça devrait humiliser (je sais,
le verbe n’existe pas mais l’idée, si) les suffisants. Encore que j’ai peu
d’espoir sur le second projet, tant d’élus politiques, de gauche comme de
droite, d’extrême comme du centre, déjà que leurs pitoyables résultats n’y
parviennent pas, ne se remettent que peu en question pour conserver leur(s)
place(s)...
Un article paru sur le site
anarcho-nihiliste-vierzonnais Vierzonitude a joué ce rôle : “Mon père, son
usine, sa mobylette”. Une image et des souvenirs en pagaille me sont revenus...
L’image de mon grand-père paternel : Camille Mousset.
Mes grands parents habitaient un
appartement qui avait dû être bourgeois rue de Beaumont, à Bourges. Un logement
au premier étage, avec salon-salle à manger, cuisine, débarras et deux
chambres. J’ai oublié la salle de bains et les toilettes ? Non. Il n’y en
avait pas. La cuisine faisait office de salle de bains, avec sa bassine en
plastique dans laquelle ma grand-mère lavait ses petits enfants (mon frère, ma
soeur et moi), et les toilettes étaient dans la cour, à partager avec les propriétaires.
Ces derniers partageaient également un jardin potager et un garage dans
lequel trônait fièrement la voiture du dimanche de mon grand-père : une
magnifique Renault 10. Mais le véhicule préféré de mon grand-père était son
Solex, qu’il chevauchait matin, midi et soir pour aller, dans l’ordre : à
son usine, l’E.T.B.S., à son “second” jardin et au café attenant. Le casque
était une option que papy dédaignait, préférant le couvre-chef de l’ouvrier
d’alors, le béret, et la Gitane maïs constamment vissée aux lèvres.
Même en retraite, mon grand-père
a toujours pris soin de son apparence. A part les dimanches où il mettait un
costume, il portait toujours une salopette de travail bleue, une chemise à
manches longues qu’il retroussait constamment (j’en ai gardé de lui, entre
autres, le refus de porter des manches longues) et une cravate. Même pour aller
bêcher son jardin. Même en retraite. La seule révolution vestimentaire née de sa
mise en retraite a été de troquer le béret pour une casquette. Mais il avait
toujours une Gitane maïs aux lèvres...
Enfant, je me souviens qu’il
rentrait toujours pour dîner avec quelques légumes de son second jardin selon
la saison. Notre grand-mère nous y emmenait parfois, surtout pour les beaux
jours. Ce dernier était attenant à l’ancienne guinguette de mon
arrière-grand-père Célestin, revenu de la Grande Guerre avec une jambe de bois,
mettant fin à son emploi de journalier, et de son épouse Célestine, fille
d’agriculteurs. Elle existe toujours, avec le même nom. Sauf que c’est devenu
un restaurant : la Courcillière, rue de Babylone, à l’entrée des marais.
Pour ma grand-mère, emmener ses trois petits enfants dans ce lieu de perdition
tenait de l’exploit. Il lui fallait traverser la rue de la Soif, la rue Edouard
Vaillant, sans que nous regardions sur les côtés, de peur de tomber sur des
petites bottines et que nous posions des questions sur ces femmes habillées
légèrement, même en hiver. Il lui fallait passer devant la Courcillière sans
que nous voulions y entrer dedans pour boire une grenadine ou assister aux
libations quotidiennes de certains habitués, peut-être de notre grand-père. Il
lui fallait se livrer à des activités de cueillette potagère tout en
surveillant les trois marmots, soumis au risque d’une noyade si nous tombions à
l’eau et d’une blessure si nous touchions le moindre outil. Puis nous éviter,
surtout aux garçons, l’attrait de ce monde viril du café, avec ses alcools,
plus souvent son “p’tit blanc sec”, et son tabac, omniprésent. Avec mon
grand-père dans son jardin, puis à son bistrot. Avec toujours une Gitane maïs
aux lèvres...
Ce temps là est aujourd’hui
révolu. La rue de la Soif tend à effacer son passé ouvrier pour un présent de
bo-bo, sa réputation de petite vertu pour l’univers des épiceries fines. Le
Solex est devenu un objet de collection, le béret un objet de nationalisme
rugbystique, la Gitane maïs un objet de mort. Mais j’aimerai toujours mon
grand-père, le Solex, Jean Gabin, la salopette, les chemises à manches courtes,
Lino Ventura, les films policiers en noir et blanc, Lulu la nantaise. Et la
Gitane maïs...
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