BLOG D'UN VIERZONNAIS





mercredi 17 septembre 2014

LE SYNDROME DE LUZENAC

Le football nous réserve chaque année quelques surprises. L’une des plus prisées du grand public se déroule immanquablement pendant la Coupe de France. Pendant cette épreuve, tous les clubs de France peuvent s’affronter. A ce titre, il existe toujours un “petit Poucet”. Certains se sont même hissés en finale. Sur les années de ce troisième millénaire, trois clubs de ligue 2 (Guingamp en 2009, Sedan en 2005, Châteauroux en 2004), deux clubs de ligue nationale (Quevilly en 2012 et Amiens en 2001) et un club de CFA (Calais en 2000) sont parvenus à jouer cet ultime et prestigieux match. Et s’ils nous tiennent tant à coeur, c’est que ces “petits” sont nos David contre Goliath, la revanche des “sans dents” contre les nantis, la preuve que le coeur a plus de force que le porte-monnaie.

Cette année, un club a fait plus fort encore : Luzenac. Luzenac : 551 habitants, un enfant célèbre, Fabien BARTHEZ, goal champion du monde de football en 1998, son usine de talc et les Pyrénées en toile de fond. Et un club de football. Un club d’entreprise, devenu club de village, puis club de pays, créé dans le bourg en 1936, qui aurait pu en rester là mais qui s’est patiemment illustré en divisions d’honneur et nationale. Puis, lors de la saison 2012-2013, le petit club a créé plus qu’une surprise : il n’a pas été le héros d’un jour ou d’une épreuve, il a été le héros d’une saison. Par le talent de ses joueurs et la volonté de ses dirigeants et collaborateurs, le petit club de village a gagné son ticket pour jouer dans la cour des grands, des professionnels de ligue 2. Chapeau !

 
Mais c’est à croire que nos élites n’aiment pas les “petits”, les “sans dents”. Après maintes tracasseries, plus juridiques que sportives, Luzenac ne jouera pas en ligue 2. Plus fort encore, il ne jouera plus nulle part... Une honte : l’argent a gagné, le sport a perdu.


Photo La Dépêche du Midi
Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec le monde de l’entreprise, avec le monde de l’emploi. Si vous êtes petit, même si vous êtes bon, vous serez toujours limité par un plafond de verre avec la complicité de nos “élites” : les “patrons” des grands groupes, des directeurs appointés comme des stars du ballon rond, et les élus nationaux n’aiment pas qu’un artisan, qu’un vrai “patron”, un homme (ou une femme) qui travaille dans son entreprise et y ait placé ses économies ou ses dettes, surtout ses dettes, vienne jouer dans leur cour. En France, le phénomène est encore plus criant d’injustice : les politiques inventent des seuils de taxe, de contraintes sociales et les grandes entreprises inventent des accords cadre, interdisant tout recours en dehors de ces derniers, au besoin des normes qualitatives.

Les américains ont inventé, il y a plus de 50 ans, le Small Business Act pour réserver une part de leurs marchés aux “sans dents”. Ils ont, en partie grâce à cela, préservé leur économie, leurs emplois. Et nous, français, nos élus en parlent... mais ne font rien. Alors que ce serait si simple de supprimer les seuils, inutiles et ne faisant que le jeu d’une minorité, et de mettre en place une politique réservant 10 à 20% des marchés publics et privés à des TPE et PME employant moins de 250 salariés et n’appartenant pas à un grand groupe. Ce sont des mesures que l’on peut discuter et améliorer mais ce serait une mesure de création d’emplois parce que les lois de la concurrence pourraient réellement produire leurs effets. Un peu comme la loi obligeant les médias à diffuser un minimum de chansons francophones a sauvé notre culture et nous a permis de découvrir tant et tant de talents. Pourquoi pas une loi de discrimination positive pour les entreprises ?
 

Mais le syndrome de Luzenac ne frappe pas que les entreprises et l’emploi : il nous frappe tous. Qui sont ceux qui nous gouvernent, que nous élisons comme si les dindes élisaient le boucher qui va les tuer ? Des personnes issues de l’ENA, des grandes écoles mais souvent venues des mêmes cercles familiaux : les fameuses C.S.P., Catégories Socio-Professionnelles. En sortir n’est pas aisé et rare. Tout juste peut on passer, de génération en génération, d’un cercle à l’autre. Le plafond de verre, celui qui nous donne l’illusion que tout est possible, est solidement arrimé. Est-ce possible de changer cela ? Peut-être. Dans les pays scandinaves, leurs élus ont créé une loi de discrimination positive pour que les femmes accèdent aux responsabilités. En France, on continue à se lamenter d’année en année comme quoi rien n’est fait. Ou si peu. Et surtout nos élus veulent l’imposer au secteur privé en se gardant bien de se l’appliquer à eux-même. La composition du Parlement est criant d’injustice : le nombre d’hommes le composant est sans commune mesure avec leur part dans la population française. Si l’on retient comme indice les C.S.P., c’est encore pire. Après cela, comment s’étonner que tant de français s’éloignent de notre démocratie, de leur démocratie ? Comment un énarque peut-il comprendre les affres d’un chômeur, lui qui n’a jamais connu le chômage, pour certains qui n’ont même jamais cherché un emploi ? Et comment nombre de français peuvent se sentir représentés par quelqu’un qui ne les connait pas, qui n’a pas partagé leurs joies, leurs doutes, leurs peines ?
 

J’aurai vingt ans de moins, je suivrai le conseil d’une des vedettes des années 80, 90 et d’aujourd’hui encore, Jean-Jacques GOLDMAN, dans sa chanson “Là-bas”, j’aurais créé mon entreprise, ma vie, là-bas, dans un “libre continent sans grillage”.

 

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